Colloque organisé à la Sorbonne du 4 au 7 juin 1996 par le Centre à l’occasion du quatrième centenaire de la naissance de Descartes. Les Actes du colloque ont été publiés chez Vrin
Descartes et le Moyen Âge, J. Biard, R.
Rashed éd, Paris, Vrin, 1997, 425
p.
PRÉFACE DE l’OUVRAGE ( Roshdi
Rashed)
Il peut paraître surprenant qu’une équipe de recherche du CNRS,
dont les travaux sont pour l’essentiel consacrés aux philosophies et
aux sciences au Moyen Age, soit à l’origine d’une réunion comme
la nôtre. Descartes ne représente-t-il pas justement, d’aucuns
diraient par excellence, l’âge nouveau ? Sans vouloir soupçonner
notre initiative de saisir les bénéfices d’une opportunité,
on pourrait y voir une simple opération de circonstance. Il n’en est
rien cependant, et une telle impression se dissipera une fois exposés,
comme il se doit, notre programme et nos raisons.
Cette rencontre
est la troisième organisée par notre Centre au cours de ces dernières
années, toutes destinées à explorer quelques thèmes
de l’histoire des philosophies et des sciences anciennes, médiévales
et classiques. La première rencontre était pour l’essentiel consacrée
aux questions de la transmission des savoirs grecs et hellénistiques,
en syriaque, en arabe, en latin. Il s’agissait surtout de comprendre le devenir
des savoirs transmis, les rénovations qu’ils ont subies, et les renouvellements
qu’ils ont pu engendrer dans les sociétés qui les avaient accueillis.
Notre deuxième réunion allait plus avant dans l’histoire, et poussait
plus loin la comparaison. Nous voulions, sous le titre de Perspectives médiévales,
non seulement examiner la transmission de l’arabe en latin et en hébreu,
mais surtout saisir dans chaque domaine l’émergence de traditions intellectuelles
différentes, qui, chacune à sa manière, auraient contribué
à l’avènement de la modernité classique. Cette démarche
nous conduisait donc inéluctablement à ce terme, à la modernité
classique, aux rapports qui l’unissent aux pensées du Moyen Âge,
et, bien sûr, à Descartes. Mais, pourquoi Descartes ? À
cela, il y a plusieurs raisons. D’abord, la double dimension de son œuvre
ne peut laisser indifférents les historiens des sciences et de leurs
philosophies. N’a-t-on pas affirmé, et souvent répété,
qu’“il n’y a pas chez Descartes de révolution philosophique, à
part de la révolution mathématique ; et [que] le secret de cette
révolution est tout entier dans les pages, dissimulées avec soin
au IIIe livre de la Géométrie, qui concernent la théorie
des équations” ? On reconnaît là les propos de
Léon Brunschvicg, que ne désavoueraient pas les éminents
spécialistes de Descartes de sa génération, ou des générations
suivantes. On pourrait naturellement débattre sur le lieu du secret,
et se demander s’il se trouve bien au troisième livre, ou ailleurs ;
mais on ne peut pas, me semble-t-il, nier la dépendance de la métaphysique
à l’égard de la géométrie. Le problème est
alors de connaître la nature exacte de cette dépendance, et si
elle se noue au-dessus de la simple analogie. La géométrie n’est
cependant pas seule en cause, et les moins jeunes d’entre nous se souviennent
des leçons professées ici par Georges Canguilhem, à qui
j’aimerais aujourd’hui rendre hommage. Georges Canguilhem a montré comment
l’optique de Descartes, et notamment sa théorie de la vision, eurent
un impact considérable sur sa théorie de la connaissance, y compris
sur sa conception de l’“intuition” ou plutôt “regard”,
comme il se plaisait très justement à le souligner. Un historien
des mathématiques, de l’optique, des sciences et de leurs philosophies
à l’époque médiévale, ne peut donc, bon gré
ou mal gré, que rencontrer Descartes.
Le titre même de
ce colloque exprime une autre raison de l’intérêt que nous portons
à Descartes : Descartes et le Moyen Âge. Le thème n’est
nullement nouveau, tout au moins parmi les historiens de la philosophie, depuis
Hertling, Gilson surtout, Koyré, entre autres. Mais les travaux de ces
maîtres, ceux de leurs successeurs, et, d’autre part, les recherches sur
la philosophie islamique à partir des textes arabes et latins, ont considérablement
enrichi le domaine et reculé ses horizons. La question devait donc être
reprise. En histoire des mathématiques et des sciences, la situation
était tout autre, tant que les historiens proclamaient la misère
scientifique du Moyen Âge et la nouveauté radicale de Descartes.
Cette conviction était davantage l’effet d’un postulat que la conclusion
d’une véritable recherche. Mais, sur ce terrain aussi, les travaux accumulés
au cours du siècle dernier en histoire de la science latine, mais surtout
en histoire de la science arabe, nous contraignent à poser la question.
En philosophie, en mathématiques et en sciences, cette question est riche
pour l’historien de Descartes ; elle sera féconde aussi pour celui qui
se penche sur les savoirs à l’époque médiévale :
s’interroger sur Descartes et le Moyen Âge, c’est se donner le moyen de
mesurer avec rigueur la portée et les limites des idées et des
projets des prédécesseurs de Descartes, mais c’est aussi ouvrir
la voie qui permettra de localiser en quoi Descartes était vraiment moderne,
et en quel sens. Telles sont les raisons qui ont décidé notre
Centre à prendre l’initiative de cette rencontre sur Descartes et le
Moyen Âge ; telles sont aussi les questions soumises aux participants,
et que nous souhaitons voir traitées.
Géométrie, algèbre
- Roshdi RASHED :
La Géométrie de Descartes et la distinction entre courbes géométriques
et courbes mécaniques. - Christian HOUZEL : Descartes et les courbes transcendantes.
- Chikara SASAKI : Descartes as a Reformer of the Mathematical
Disciplines. - Giovanna CIFOLETTI : Descartes et la tradition algébrique
(XVe-XVIe siècles) - Eberhard KNOBLOCH : Sur le développement de la
géométrie pratique avant Descartes.
Nature, lois, causalité
- Michio KOBAYASHI : Création et contingence selon
Descartes et Duns Scot. - Gilles OLIVO : L’efficience en cause : Suarez, Descartes
et la question de la causalité. - Gérard SIMON : La théorie cartésienne
de la vision, réponse à Kepler et rupture avec la problématique
médiévale. - Graziella FEDERICI VESCOVINI : Descartes et les sciences
curieuses : le raisonnement ex suppositione et le Moyen Age.
Intuition, perception
- Dominik PERLER : Descartes, critique de la théorie
médiévale des species. - Lilli ALANEN et Mikko YRJÖNSUURI : Intuition, jugement
et évidence chez Ockham et Descartes. - Jean-Robert ARMOGATHE : Les sens : inventaires médiévaux
et théorie cartésienne.
Théorie de la connaissance
- Jean JOLIVET : L’épistémologie de Descartes
dans les Regulae et celle d’Avicenne. - Laurence RENAULT : Descartes et les théories médiévales
de l’abstraction. Quelques points de repères. - Kim-Sang ONG-VAN-CUNG : Substances et distinctions
chez Descartes, Suarez et leurs prédécesseurs médiévaux. - André ROBINET : Dialectiques et regulae
: lieux et concepts.
Morale et liberté
- Christian TROTTMANN : Le libre arbitre selon Bernard
de Clairvaux et Descartes. - Vincent CARRAUD : Morale par provision et probabilité.
Dieu et l’ego
- Ahmad HASNAWI : La
conscience de soi chez Avicenne et Descartes. - Alain GALONNIER : Descartes
et Saint Anselme : du Proslogion à la Meditatio tertia.
Substance, attributs, modes
- Pierre MAGNARD : Ipséité ou subjectivité.
- Dennis DES CHENE : L’immatérialité de l’âme
: Suarez et Descartes. - Jean-Luc SOLÈRE : Descartes et les discussions
médiévales sur le temps. - Joël BIARD : La conception cartésienne de
l’étendue et les débats médiévaux sur la quantité.